Fantômes et marionnettes, suite

Publié le par Sylvain

Résumé des épisodes précédents : après une première représentation de marionnettes de 6h, nos deux héros arrivent dans un monastère bouddhiste du Fujian.

Nous voilà donc dans un monastère bouddhique, où sont organisés 3 jours de cérémonie à la mémoire des morts. Il y avait donc, dans ce monastère, quelque 250-300 pèlerins venus en famille honorer leurs morts, le tout dans un joyeux déballage évoquant davantage le jour du marché que le recueillement mystique. L'espace où les familles dressent de petits autels à leurs chers disparus tient quant à lui davantage d'un Las Vegas de pacotille que de la cathédrale gothique; les gens passent leur temps à faire exploser des gros pétards, pour faire fuir les fantômes; résultat, chaque déflagration déclenche l'alarme d'une ou deux motos un peu sensibles; quelques secondes après, l'alarme se tait... jusqu'au prochain pétard. Tout le monde est habillé de blanc, mais de façon très hétéroclite, certains avec de somptueux costumes, d'autres avec des bouts de taies d'oreiller, d'autres en jogging. Un joyeux bazar, donc, dans lequel nous débarquons avec armes, bagages et marionnettes.

 Mais, me direz-vous, que viennent faire des marionnettes dans des cérémonies pour honorer la mémoire des morts? Eh bien les marionnettistes jouaient en fait une pièce intitulée le Mulian Xi. Mulian est un brave gars dont la mère va aux Enfers à cause de ses mauvais comportements (de l'avarice essentiellement). Mulian, qui est un bon fiston, n'attend pas un instant et hop, ni une, ni deux, il va rechercher sa mère aux Enfers, pour que toute la petite famille soit à nouveau réunie. Sauf que c'est pas si simple : on ne rentre pas aux Enfers exactement comme dans un moulin et, du coup, Mulian doit d'abord aller trouver Bouddha pour que celui-ci lui explique comment sauver sa môman.

Le Mulian Xi explique donc à la fois comment apaiser les dieux et les morts, et comment la piété à l'égard des ancêtres peut les sauver. C'est aussi une pièce terrible, avec ses démons, du sang, un suicide, et les marionnettistes ne jouent jamais cette pièce sans une certaine appréhension, car une erreur de leur part pourrait libérer des forces terribles, des démons malfaisants pourraient ne pas vouloir repartir aux Enfers après la représentation. Ils ne jouent donc que sous la protection de leur dieu, la seule marionnette ancienne de la troupe, car on ne change pas impunément la représentation d'un dieu comme on change de chaussettes.
Pour renforcer la symbolique de la pièce, les moines avaient voulu que la représentation ait lieu de nuit, pour s'achever par la remontée des Enfers au petit matin. la pièce commençait donc à 1h30, ce qui nous laissait donc une nuit d'à peine 2h, au beau milieu du temple, sur des paillasses, avec, pour nous bercer, les tambours et gongs des moines, qui animaient une cérémonie qui ne devait se terminer... qu'au moment de notre réveil.

Tout ensommeillés, dans la nuit froide, et sans public bien évidemment - ben ouais, pas bêtes, les pèlerins, ils sont partis se coucher au hasard des paillasses disponibles dans les couloirs et cages d'escaliers. A l'extérieur, lentement, les heures s'écoulent, les marionnettistes luttent comme ils le peuvent contre le froid et la fatigue, malgré un bol de riz au chou toutes les 2h.
A 4h du matin, la mère de Mulian n'est toujours pas morte. Tout à coup, on sent une certaine agitation. Dame Lieu (la mère de Mulian) serait-elle enfin morte? Que nenni, ce n'est que sa soubrette, qu'un fantôme malicieux pousse à la pendaison... Au bout d'un moment, nous nous mettons à penser que tout cela n'aura jamais de fin. D'autant que le tout, évidemment, est en dialecte du Fujian, cet étonnant dialecte tout en chochotements, auquel on ne comprend pas un traître mot...
A l'aube, cependant, les choses s'accélèrent brutalement. La mère de Mulian a dû profiter d'un de mes moments d'absence pour enfin mourir, les marionnettistes, qui retrouvent de l'énergie en voyant poindre le jour, avalent leur texte à toute allure pour rattraper leur retard, pendant que les pèlerins, tout engourdis, prennent place devant la scène.

Non pour regarder le sepectacle, ce qui ne servirait à rien. Chaque famille s'installe sur un emplacement de terre battue délimité à la craie, et commence à déballer paniers, cartons, tissus, le tout dans une confusion certaine. L'ambiance pourrait alors furieusement évoquer celle d'un jour de marché... sauf que ce que les pèlerins déballent, ce sont leurs morts : leurs vêtements, des photos d'eux, leurs objets préférés (le téléphone portable revenant fréquemment...). Etalant tout ça sur des nattes, les familles confectionnent ensuite des mannequins des morts, des mannequins portant les mêmes vêtements, rembourrés de papier-monnaie (virtuel, cet argent n'a cours qu'aux Enfers).

Quand tout ce petit monde s'est installé, la représentation proprement dite s'interrompt. Il est 7h du matin, et 7h, c'est l'heure des oracles. Nos pèlerins passent donc un par un consulter les oracles au pied de la scène, pendant que les marionnettistes représentent les dieux des enfers et Bouddha, tout en récitant des prières à l'intention du mort. Le problème de ces oracles, c'est qu'on est toujours gagnant : jamais un oracle ne sera défavorable, puisqu'on le paie. Donc, on répète le geste, jusqu'à ce qu'on obtienne l'oracle attendu. Et tant pis si ça dure longtemps. Et tant pis pour nos braves marionnettistes si ces sadiques de moines avaient décidé, pour corser l'affaire, que chez eux, l'oracle devait être favorable à trois reprises. Alors, ben tant qu'on n'a pas lancé trois fois l'espèce de demi-boudin de la façon voulue, et ben on poireaute. Pour ceux qui ont vraiment deux mains gauches, les organisateurs n'hésitent pas à donner un petit coup de pouce, et pour les moins doués, un attroupement se crée, chacun y allant de son conseil personnel sur la meilleure technique du lancer de boudin en plastique sur une petite dalle...

A ce rythme-là, le temps que tout le monde passe, on rajoute 7h d'oracles aux 7h de la représentation proprement dite. Soit, vous l'aurez compris, 14h de marionnettes. Heureusement pour notre santé mentale, en même temps, se déroule un étrange rituel. Une fois les oracles recueillis (ça tombe bien, ils sont toujours favorables), la famille va brûler le mannequin du mort, la fumée permettant d'établir la communication entre les vivants et les dieux. Les membres de la famille partent donc à travers la colline, en portant le cadavre sur sa natte, où il est toujours entouré de ses objets favoris, d'un peu de bouffe, et d'argent, toujours de l'argent. Certains, prévoyants, disposent même sur la natte, avant d'immoler le mannequin, des affaires de rechange. Des parents ont ainsi fourni à leur fille une valise entière de vêtements, qu'ils ont soigneusement étalés avant d'y mettre le feu. Comme ça, pas de problème, même aux Enfers, hop, elle a son soutif de rechange, c'est quand même bien pratique. Bien sûr, avec tous ces joyeux petits feux de joie un peu partout au petit bonheur la chance, il n'a pas fallu bien longtemps pour qu'un malin mette le feu à la colline - incendie rapidement jugulé, fort heureusement, malgré la sécheresse de la végétation.

Alors, que penser de tout cela? A vrai dire, je ne le sais pas encore très bien moi-même. Ce qui est sûr, c'est que je m'estime très chanceux d'avoir pu assister à ce type de cérémonie, et non à une reconstitution folklorique. Surtout, il y avait dans cette cérémonie quelque chose de très étrange, dans ce mélange entre certains aspects profondément pragmatiques du rapport des Chinois à la religion, et, malgré tout, une certaine ferveur. Certes, l'accomplissement du rite compte davantage  que la ferveur, que la foi - ce qui ne va pas sans surprendre. Malgré cela, on pouvait vraiment ressentir une certaine ambiance mystique au milieu de tout ce bordel...

Publié dans Vadrouillages

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C
oh que oui tu es très chanceux d'avoir vu tout ça ! et nous de te lire. je l'ai déjà sur la partie 1 mais j'adore cette histoire de marionnettes, on est en plein conte. merci d'avoir pris le temps de nous raconter si bien cette aventure Sylvain !
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